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Un fort russe au dessus d’une mer disparue

Dans leur effort pour conquérir l’Asie centrale, de dominer le commerce et pour s’approprier des régions qui vont s’avérer riches en pétrole et en gaz, les Russes ont voulu contrôler la péninsule du Manguistan.  Ils ont ainsi construit plusieurs forts sur la cote de la mer Caspienne dans la première partie du 19°s. Le plus connu est Fort Shevchenko, installé au bout de la péninsule du Manguistan (qui porte le nom de l’artiste et poète ukrainien Taras Shevchenko… à l’époque Russes et Ukrainiens étaient encore copains).

Mais, au cœur du désert du Manguistan, il en existe un autre, moins connu mais bien plus intéressant à nos yeux : le fort Novo-Alexandrovskiy (certainement nommé ainsi en l’honneur d’Alexandre, le fils du tsar Nicolas Ier, qui deviendra lui-même le tsar Alexandre II en 1855).

Le fort fut construit dans les années 1830-1840 au bord d’une falaise dominant un chenal navigable émanant de la mer Caspienne dans la baie de Dead Kultuk. A l’époque le niveau de la mer était quelques mètres plus haut qu’aujourd’hui et le fort dominait un port peu profond, installé en contrebas de la falaise. Les fondateurs étaient le naturaliste et explorateur Grigory Karelin et le général russe Vasily Perovsky qui voulaient pacifier la région dans laquelle les Russes développaient des activités de pêche et se faisaient attaquer par les peuples kirghizes et turkmènes. Il fallait lutter contre les pirates qui sévissaient en mer Caspienne, coloniser la région et essayer d’établir des relations commerciales avec les khanats d’Asie centrale et la ville de Khiva, voire même si possible leur piquer leurs richesses…

Mais l’emplacement du fort a été bien mal choisi. Les soldats, peu nombreux et isolés dans cette région désertique et hostile étaient rongés par le scorbut. Et c’était sans compter la baisse du niveau de la mer Caspienne ! En effet, les recherches scientifiques récentes menées par les collègues iraniens (clin d’oeil pour Mori mon collègue et ami co-auteur du papier) montrent une diminution importante du niveau de l’eau entre les années 1800 et 1850. Sans vouloir faire de déterministe simpliste, cela n’a pas dû arranger les affaires des Russes qui ont dû se retrouver avec un port inutilisable. De plus, incapable de résister aux attaques répétées des peuples autochtones, le fort a été rapidement abandonné. En 1846, les Russes décident alors de construire une nouvelle forteresse au bout de la péninsule dans une région moins inhospitalière: c’est Novopetrovskoye qui deviendra en 1939 le Fort Aleksandrovskii puis Fort Shevchenko en 1857, la ville principale du nord du Manguistan.

Aujourd’hui il ne reste plus que le ruines du fort abandonné, qui ne vont pas tarder à tomber dans le précipice. En effet, la côte de la Caspienne s’érode très rapidement. Elle est soumise à des effondrements incroyables. L’an dernier nous étions déjà allés voir les glissements de terrain les plus importants de la région un peu plus à l’ouest. Ici la falaise n’est pas encore effondrée mais l’érosion est quand même rapide et grignote petit à petit les murs du fort. Attention, contrairement à ce qu’on pourrait penser en regardant l’image aérienne, le fort n’est pas coupé en deux! il a été construit ainsi en bordure de falaise

Emplacement du fort en bord de falaise
Les ruines du fort entaillées par l’érosion de la falaise
Une falaise au pied de laquelle la mer a disparu

Il ne reste aujourd’hui que des fondations de bâtiments, des briques et quelques tas de terre à l’emplacement des anciennes tours. Le plus impressionnant sont les centaines de mètres de murs de défense construits avec des pierres dressées. Leur fonction aurait été de dissuader les attaquants à cheval.

En contrebas du fort, au milieu de la falaise, de nombreuses ruines de construction sont encore présentes. Elles devaient abriter les habitations et les installations du port de pêche. Aujourd’hui les nomades ont récupéré les pierres de construction et ont construit des enclos à bestiaux. Le site sert maintenant de cimetière avec des tombes du 19 et 20e siècles.