Monastères syriaques

  12 juin 2017

Autour de Midyat on trouve encore une grande concentration de monastères et d’églises syriaques, dont certaines sont encore en activité, malgré l’exode de la population chrétienne de Turquie (voir article précédent). Nous décidons d’en visiter quelques-uns. C’est pas qu’on soit des fous de religion, bien au contraire, mais vous avouerez que c’est quand même plus excitant de visiter des églises en Turquie qu’en Italie !

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Nusaybin se trouve au début de la plaine de Mésopotamie, on discerne déjà au nord les escarpements qui annoncent le plateau de Tur Abdin, où les Syriaques se sont réfugiés suite aux persécutions byzantines du 5e-6e siècle (ils sont considérés comme hérétiques par l’église orthodoxe). Mais il existait déjà des monastères chrétiens dans la région. On a déjà parlé de ceux de Mardin et de Nusaybin, mais celui qui a la plus belle situation est celui de Mora Augin, perché sur le flanc du mont Izlo, d’où on a une vue incroyable sur la plaine jusqu’en Syrie.

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Mor Augin (St. Eugène) est un “père du désert” venu d’Égypte au 3e siècle avec 70 autres moines afin de christianiser cette région. Il y a fondé un monastère qui a pris son nom, et où il est enterré. Depuis la mort de Mor Augin en 363 jusqu’à 1968, lorsque le dernier moine est mort sans être remplacé, le Monastère a toujours été occupé, et a compté jusqu’à 400 moines. On peut d’ailleurs encore voir les ruines de leurs maisons éparpillées autour du monastère. En 2010, un moine syriaque est venu de Hollande pour reconstruire et réoccuper le monastère, avec l’aide de la communauté syriaque exilée. Les Kurdes réfugiés ici se sont appropriés les terres agricoles appartenant au monastère, mais le bâtiment a été préservé. La tâche n’a pas été facile car le gouvernement turc voit d’un mauvais oeil les tentatives de raviver une foi “étrangère” - mais bien sûr présente bien avant l’Islam.

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Nous parvenons au monastère par une nouvelle route goudronnée, en fin d’après-midi. Nous frappons à la porte et attendons qu’un homme vienne nous ouvrir. Il n’a pas vraiment le temps de nous faire visiter mais nous fait entrer quand même. Il parle un peu anglais et aussi allemand… en fait, il se trouve qu’il vient de Suisse ! il est originaire de la région mais a émigré avec ses parents dans le canton de Schwytz, où il a fait ses études et y travaillait, jusqu’à ce que le mal du pays et le ras-le-bol de la vie stressante le fasse revenir ici pour participer à l’entretien du monastère.

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Il partage les lieux avec trois autres presonnes : il y a le moine, bien sûr, et deux étudiants en araméen venus d’Allemagne. L’araméen est la langue de Jésus, très proche de la langue parlée par les Syriaques encore aujourd’hui. Après une visite rapide de l’église, dont on ne sait pas trop ce qui date du 4e ou de sa reconstruction du 12e siècle, il prend congé de nous et nous allons dormir sur le parking.

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Le lendemain matin je (Laurent) me lève en douce à 5h30 pour aller voir comment se déroule la prière du matin. C’est très simple, le moine et les deux étudiants se tiennent debout et psalmodient des versets de la bible à tour de rôle, à la manière du chant grégorien. Le plus émouvant, c’est que cela se passe probablement de la même manière depuis 1700 ans… ! mais il faut bien avouer que ça devient vite lassant. Je suis le seul spectateur ce matin, alors que le dimanche l’église est remplie pour la messe.

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On comprend pourquoi les moines se sont établis ici, la vue sur la plaine de Syrie à l’aube est somptueuse. On m’invite à partager leur petit-déjeuner, puis je redescends retrouver Cécile et Osman. Je décide ensuite d’aller explorer un autre monastère, Mor Yakoup, qui est parraît-il non loin d’ici, alors que Cécile reste tranquillement à la voiture. Ce monastère est inoccupé depuis 100 ans, soit depuis le génocide. Je pensais qu’il serait facile à atteindre donc je pars sans une goutte à boire… Je mettrai finalement 2 heures aller-retour par plus de 30 degrés, donc je comprends ce que veut dire le ramadan dans ce pays !

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Je découvre le monastère au détour d’un sentier, de l’autre coté de la vallée, accroché à flanc de paroi. Je cherche en vain un sentier qui a disparu depuis un siècle et grimpe dans les éboulis et les chardons géants. J’arrive finalement au-dessus des bâtiments, difficiles d’accès car construits sur une pente très raide et dont les escaliers d’accès sont effondrés, remplacés par des champs de chardons secs.

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Je trouve finalement l’entrée de l’église, dont le toit est, étonamment, encore intact (il neige beaucoup en hiver ici). L’intérieur est vide mais sans aucun détritus, ce qui prouve que personne n’y vient plus depuis très longtemps. Les autres bâtiments sont en piteux état et je ne me risque pas trop à l’intérieur, qui semble pouvoir s’effondrer à tout moment.

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Le lendemain nous partons pour Midyat, une jolie petite ville du Tur Abdin autrefois à majorité syriaque mais actuellement presque entièrement kurde. Nous allons visiter le monastère de Mor Abroham et Mor Hobel (St. Abraham et St. Abel), entièrement refait récemment mais dont on ne peut visiter que l’église, pas si intéressante. Par contre on parvient à se faire servir le thé dans les très jolis jardins… d’ailleurs nous ne sommes pas seuls, quelques kurdes profitent aussi de faire une exception au ramadan. Puis nous allons prendre l’iftar (repas de rupture de jeûne) sur une rue de la ville où on a installé des tables. Comme c’est la tradition lors du ramadan en Turquie, tout le monde s’attable devant des kebabs chauds et attend patiemment l’azan, l’appel du muezzin qui donne l’autorisation de manger. Ceci fait nous allons bivouaquer hors de la ville pendant qu’Osman dort dans sa voiture sur le parking de la gare routière.

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Le lendemain, Osman est de mauvais humeur car il n’a pas trouvé de petit déjeûner dans la ville (il ne fait pas ramadan). Nous partons pour Mor Gabriel, le monastère le plus important du Tur Abdin. En arrivant sur le parking, on est accueilli par un prêtre tout vêtu de rouge, qui se présente comme l’archevêque, mais qui part avant que l’on n’ait pu discuter. Comme souvent, le monastère est construit comme une forteresse - ce qui s’est révélé vital lors des persécutions dont ont été victimes les Syriaques au cours des siècles. L’entrée est payante, bien sûr, mais pas très chère comme souvent en Turquie. Nous sommes les seuls touristes et un guide nous emmène faire la visite. Comme à Mardin, les bâtiments ont l’air d’avoir été restaurés récemment, tout est impeccable.

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On nous amène dans le caveau où sont enterrés les fondateurs, morts au 4e siècle, et dans l’église, coiffée d’un magnifique dôme de brique. Le monastère est un de plus vieux encore en activité au monde, fondé en 397, mais diffcile de dire ce qui reste de l’original : tout est très propre et en très bon état, probablement restauré de multiple fois depuis tout ce temps.

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Au fil des petites routes, nous traversons des vergers de pistachiers et découvrons de petits villages qui possèdent encore une ou plusieurs églises syriaques. Elles sont en général fermées, mais souvent nous trouvons quelqu’un pour appeller le “locataire” des lieux, qui nous ouvre volontiers la porte pour visiter. Certains villages sont entièrement kurdes avec une ou deux familles syriaques, d’autres sont partagés. On n’en a vu qu’un seul à majorité chrétienne, Antli (Hah en syriaque), qui abrite le célèbre monastère de Meryamana (Vierge Marie). Un des fils de la famille qui y habite nous ouvre la porte pour visiter, puis nous offre très gentiment le thé sur le toit-terasse. Très bel accueil et magnifique vue sur le toit très ouvragé de l’église.

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Avant de faire une overdose d’églises, nous mettons le cap sur Hasankyef, menacé par un projet de barrage sur le Tigre qui est sensé innonder la ville et ses ruines ottomanes.

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